L’acuité avant le divertissement

Distinguer la racine de la dent

Les chansons seraient-elles comme des bonbons pour un nombre important de personnes ?

Sources de bons moments, mais pas fatalement considérées comme une chose de première nécessité ?

Est-ce bien certain ?

La musique adoucit les mœurs, selon le dicton. Elle peut aussi rendre heureux. Elle révélera surtout ce qui, déjà, est en nous : les chansons nous dévoilent à nous-mêmes.

Les chansons attirantes divulguent nos faiblesses et nos inclinations, nos félicités aussi. Elles trahissent nos attachements, familiers ou encore ignorés (inéprouvés ?). Elles nous montrent ce que nous sommes. Elles déblayent, elles dégarnissent pour mieux distinguer la racine de la dent.

J’ai appris à mieux me connaître à travers les chansons consommées et consumées. J’abritais déjà, tout au fond et tout jeune, des thématiques (idées fixes et tourments) personnifiées en premier lieu par les voix et les mots de Serge Reggiani, Véronique Sanson, Claude-Michel Schoenberg, Nicole Croisille ou Serge Lama.

Ces chanteuses et chanteurs imposés durant l’enfance (dans la maison, en voiture) ébranleront un imaginaire, du reste pensif et rêveur, en fixant très nettement le canevas et la substance des obsessions et des préoccupations d’une vie intérieure naissante.

Les titres qui semblaient découragés et tristes à l’oreille pouvaient, paradoxalement, avoir un effet favorable. C’était pour moi des chansons « éclairantes ». A l’écoute, elles semblaient avoir un côté alangui, avec un tempo plutôt lent. Mais ce rythme qui épouse celui de la gravité et de la cérémonie, avait quelque chose qui se liait à mon pouls et accompagnait ma journée.

Ces chansons « maussades» contribuaient à me rendre avisé, à défaut de me rendre heureux. La clairvoyance d’une condition révélée avant l’agrément d’une friandise. L’acuité avant le divertissement.

Stéphane Delrine

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